Le livre sur l’Occitanie

Le livre sur l’Occitanie d Antonin Berbòsc

Tot ben qu’agem fach pron bèl camin, sèm luènh d’èstre al cap. Ce livre vient sans doute à point. Ni trop tôt ni trop tard. Non pas que le domaine occitan n’ait pas produit son contingent de représentations, d’images, d’analyses et de témoignages. Les auteurs de ce travail collectif ont voulu participer à cette mise à jour de l’aventure occitane. Aventure, s’il en est, quand elle ne veut ni ne peut être réduite à un seul fait d’écriture, de parole, ou d’identité en creux proclamée. Aventure, parce que les cinquante dernières années ont produit une réalité sociale et culturelle prodigieusement mutante et que le mouvement politique, naissant et minoritaire dans son propre pays, a commencé à réaliser des analyses et des pratiques et tenté de répondre aux questions du moment. Aventure, enfin, car son cheminement produisant sa propre dynamique – à l’écart, certes relatif, de tout centre de décision reconnu – a invité toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à se regrouper, non pour témoigner, mais pour commencer à changer l’état des choses. L’occitanisme des années quatre-vingts s’est pris en mains. Hétérogène, divisé, subissant la forte pression des idéologies centralistes dans tous les domaines, il a commencé à construire une voie différente de celle de ses prédécesseurs, héritiers de la Libération. L’autonomisme politique ne pouvait être que minoritaire. Se définir tout en avançant à la fois sur les terrains culturel, social et politique semblait une gageure. Plus de vingt ans après, ce mouvement de construction d’une pensée et d’une pratique autonomes existe et veut s’approfondir. Il n’est plus l’objet d’études sociologiques de la part des spécialistes des mouvements sociaux des années quatre-vingts. Il fait moins parler de lui. Il existe au prix d’un pragmatisme patient, de terrain, inégal selon les régions occitanes. Il ne se conçoit que comme différent des autres mouvements nationalitaires de l’Hexagone. Ses 31 départements sont un handicap majeur. En fait, il est au coeur de toute politique que l’Etat français, de droite ou de gauche, réalise ou projette : nié en tant que tel, régionalisé, départementalisé, uniformisé. Il n’est pas. Pour nous, occitanistes, le pays occitan se conçoit dans des pratiques concrètes. Son avenir se dessine dans les actions d’aujourd’hui. Cette perspective du mouvement nous éloigne bien des idéologies étroitement ethniques dont la logique essentialiste renvoie au déjà su et à l’immobilisme pratique. Elle parie sur une démarche inventive et d’ouverture. A l’opposé également d’une théorisation stérile – donc idéologique -, l’occitanisme politique que nous assumons depuis plus de vingt ans est à l’écoute de tout ce qui naît et se passe dans la société civile. Tout l’intéresse, à commencer par les mouvements sociaux, surtout pour ce qu’ils sont capables de traduire, à leur manière, lors de conflits au pays. S’il est vrai que l’occitanisme moderne est à la fois exigence de refondation culturelle et souci de développement, il ne peut faire l’impasse sur les grandes questions de l’heure.

L’occitanisme est confronté à quatre types de questions :

  • L’urgence de forger ses outils culturels pour trouver à court terme des solutions possibles et créer le mouvement en marchant. On était loin, il y a dix ans encore, d’un consensus pour mettre en route les écoles bilingues, les calandretas. L’évolution de la situation politique a convaincu la majorité des occitanistes qu’il fallait passer à l’acte et construire l’édifice par le bas… L’avancée n’est pas spectaculaire, vu les moyens. On aurait tort de la sous-estimer ; elle ne peut à présent que s’affirmer.

 

 

  • L’exigence de parvenir à une représentation politique a fait son chemin, même si le nombre des élus n’est pas ce qu’il pourrait être. Il s’agit ici de considérer le terrain électoral comme un possible aboutissement du travail sur le terrain. Trop d’occitanistes ont imaginé pouvoir parvenir à la représentation sans ce nécessaire exercice de la preuve par l’œuvre. D’autant plus difficile pour nous qu’il faut aller à contre-courant de toutes les habitudes de dépendance qui rythment le jeu politique traditionnel.

 

 

  • La nécessité de fournir sur le plan socio-économique des outils créateurs d’emplois doit être prise en compte. D’autres nationalités, dans des contextes différents (Euskadi-Nord, Corse, Bretagne…) ont créé des outils pour l’emploi (Herrikoa, Femu Qui…). La création d’une Chambre Economique des Pays d’Oc est une avancée qui va dans ce sens. Il serait souhaitable que les acteurs économiques conscients prennent une initiative comparable à celles évoquées, quand le moment sera propice. Encore faut-il que l’idée soit expliquée et préparée soigneusement.

 

 

  • En plus de ces trois questions qui essaient de répondre à la mise en place de moyens sociétaux et politiques, la grande question à laquelle l’occitanisme est aussi confronté est celle de la construction de L’Europe. L’occitanisme veut savoir comment ce projet politique va arriver à concilier la nécessaire reconversion des économies et des politiques des Etats-Nations. La politique européenne – pour autant qu’il y en ait une – oscille entre une prise en compte des Régions, un souci de régler les questions locales et régionales à leurs niveaux respectifs (subsidiarité) et une politique inter-étatique qui refuse de céder la moindre parcelle de souveraineté. L’Europe politique n’existe pas à ce jour. Entre un Comité des Régions, au pouvoir purement consultatif, et un Conseil sans représentation démocratique, l’idée régionale est mal partie. Il n’empêche que le ver est dans le fruit : les contradictions de la « construction » européenne sont sur le point d’engendrer une crise dont toutes les conséquences sont imprévisibles. Si l’on ne veut pas revenir en arrière, les Etats partenaires devront faire des concessions. L’idée régionale y tiendra-t-elle encore quelque place? Quelle forme prendra-t-elle? C’est sur cette incertitude que s’achève l’année 96. L’Europe, quelle que soit sa forme future, centralisée et inter-étatique ou décentralisée, laissant à la région des compétences propres et partagées, ne pourra reproduire un système comparable au modèle français. Ce serait une remise en question des traditions politiques de nombreux pays qui la composent aujourd’hui.

 

          De son côté, le système français concentrant l’essentiel de ses richesses dans la Région-capitale sera bien obligé de dépasser l’hypertrophie parisienne pour, dans sa logique, répondre à l’ « atonie régionale ». Repenser le territoire à partir de l’Europe devient pour lui nécessité. Le rééquilibrage des territoires – du seul point de vue de l’aménagement – doit se faire, au risque d’aggraver la fragilisation des périphéries. Dans le cadre d’une politique interrégionale européenne, le modèle français est condamné. Tout concourt à ce que cette situation évolue. C’est pourquoi, loin de laisser entrevoir des solutions toutes faites, l’Europe reste une contradiction lourde à gérer pour l’Etat français. L’occitanisme doit continuer à adopter une attitude réaliste et critique face à l’évolution de la situation communautaire. C’est à toutes ces questions qu’est confronté le mouvement occitan. Aujourd’hui, ses orientations se précisent ; il reste attentif à la perspective des grands bouleversements qui peuvent faire évoluer une situation en apparence bloquée. Comme il l’est également aux situations socio-économiques et politiques au pays qui s’annoncent à l’horizon 2000. De même, il continuera à aider tous les acteurs de la reconquête linguistique et culturelle qui reste la base de la construction d’une société occitane vivante et d’un pays devenu conscient de lui-même. Ces chemins ouverts restent en chantier. Ils invitent les occitans à se rendre au rendez-vous de l’histoire. Peut-être, plus simplement, à découvrir par eux-mêmes, comme nous y invitait cet ami lors des grandes luttes viticoles des années soixante-dix, qu’on peut en finir avec le désespoir.